La CJUE précise les cas dans lesquels une concession peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution : un manquement contractuel du concessionnaire n’est pas une circonstance imprévisible qui permet une modification sans publicité ni mise en concurrence. Un changement dans l’actionnariat du concessionnaire décidé lors du règlement amiable n’est pas assimilable à une modification de la concession. Enfin, le renforcement des normes de sécurité applicables et les compensations financières demandées au concessionnaire ne sont pas des modifications substantielles.
En 2018, le pont Morandi de Gênes s’est effondré. Le ministère des Infrastructures et des Transports italien a donc engagé une action en responsabilité contre le concessionnaire pour manquements graves à son obligation d’entretien du réseau autoroutier exploité. Un accord amiable a finalement été conclu entre les deux parties qui a été contesté devant la juridiction administrative italienne en ce qu’il modifierait de manière illégale la concession. Ce tribunal demande à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) des précisions sur les possibilités de modifier une concession sans nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence.
Comme rappelé par la CJUE, les cas dans lesquels les contrats de concessions peuvent être modifiés sans nouvelle procédure d’adjudication sont limitativement listés dans la directive relative aux concessions (article 43 de la directive 2014/23/UE). Parmi ces modifications autorisées figurent celles résultant de circonstances qu’une autorité concédante diligente ne pouvait pas prévoir. En l’espèce, la CJUE était interrogée pour savoir si un manquement du cocontractant constituait une telle circonstance imprévisible et a répondu par la négative. En effet, une autorité concédante suffisamment diligente pouvait prévoir au stade de l’attribution que son futur cocontractant serait susceptible de commettre de tels manquements. L’accord amiable modifiant la concession ne pouvait donc pas être conclu sur ce fondement.
Cet accord prévoit également un changement dans l’actionnariat du concessionnaire. La CJUE a considéré que ce changement de capital social n’emporte ni modification de la concession, ni changement de concessionnaire. Dès lors, cette cession de part du capital ne nécessite pas qu’une nouvelle procédure de publicité et mise en concurrence soit effectuée.
Pour tirer les conséquences de cet effondrement du pont, l’accord amiable renforce les normes de sécurité applicables à l’exploitation du réseau autoroutier concédé et impose une compensation financière au concessionnaire. Sans se substituer à l’appréciation qu’aura le juge national, la CJUE considère que ces modifications ne peuvent être présumées substantielles en ce qu’elles n’altèrent pas l’équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire.
La CJUE rappelle également que les concessions modifiées sans nouvelle procédure d’attribution pour circonstances imprévisibles ou prestations supplémentaires devenues nécessaires imposent la publication d’un avis de modification au Journal Officiel de l’Union européenne, postérieurement à la modification.
De manière plus inédite, la CJUE considère que conformément au principe général du droit de l’Union relatif à une bonne administration, toutes les modifications de concession en cours d’exécution sans publicité ni mise en concurrence doivent être motivées. Selon la CJUE, « cette obligation de motivation doit permettre, en particulier, aux personnes autres que le concessionnaire de prendre connaissance des motifs pour lesquels le pouvoir adjudicateur a estimé que la concession en cours pouvait être modifiée sans organiser de nouvelle procédure d’attribution. » et « en l’absence d’une telle motivation, les personnes susceptibles d’avoir un intérêt à agir contre une telle décision, notamment celles potentiellement lésées par celle‑ci, ne seraient pas en mesure d’apprécier, en pleine connaissance de cause, l’opportunité d’introduire un recours contre ladite décision ». Une telle modification non motivée serait potentiellement invalidée si elle était contestée devant le juge.
Enfin, la CJUE précise que l’autorité concédante n’a pas à vérifier la fiabilité de son concessionnaire lorsqu’elle entend modifier la concession sans publicité ni mise en concurrence. Cette fiabilité concerne les motifs d’exclusion de la procédure de passation et les conditions requises pour y participer et sont appréciées au stade de la candidature. En revanche, cette fiabilité doit être de nouveau vérifiée en cas de modification effectuée après une nouvelle procédure de publicité et mise en concurrence ou lorsqu’un nouveau concessionnaire remplace celui désigné initialement.